Portrait de soignante : Audrey CHAMBEROD, infirmière de coordination

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Peu nom­breuses en France, les infir­mières de coor­di­na­tion sont un mail­lon indis­pens­able dans le par­cours de soin sou­vent com­plexe des patients touchés par un can­cer. Au CHU Greno­ble Alpes, Audrey CHAMBEROD a choisi de s’engager pleine­ment dans sa nou­velle mis­sion. Par­ti­c­ulière­ment impliquée, elle accom­pa­gne ses patients au plus juste et au plus près dans toutes leurs dimen­sions, du pro­jet de soin au pro­jet de vie, avec une bien­veil­lance et une human­ité infinies.

Vous êtes infirmière depuis 20 ans. Est-ce une vocation, un rêve d’enfant ? 

Je dirai qu’il s’agit plutôt d’une voca­tion. J’ai été sen­si­bil­isée dès l’âge de 8 ans « à l’art de pren­dre soin des autres » par ma grand-mère pater­nelle qui m’emmenait avec elle dans les maisons de retraite faire des ani­ma­tions, jeux, chant, danse… Plus tard, jeune ado­les­cente, j’ai suivi les pas de ma mère, infir­mière diplômée, et là, j’ai eu le déclic : le méti­er d’infirmière était fait pour moi ! Il me cor­re­spondait tant du côté du savoir-faire que du savoir-être. J’ai donc fait mes études et obtenu mon diplôme d’état d’infirmière en 2003. En 2010, je me suis spé­cial­isée comme Infir­mière Anesthé­siste Diplômée d’Etat (IADE). Durant mon exer­ci­ce à l’hôpital Cou­ple Enfant de Greno­ble, j’ai pu pren­dre en charge des patientes atteintes de can­cers gyné­cologiques et égale­ment des enfants atteints de can­cers. Cela a été mes débuts dans l’accompagnement de patients ayant un par­cours de soins can­cérologiques plus ou moins complexes.

Audrey Chamberod, infirmière de coordination

Comment êtes-vous devenue infirmière de coordination en 2023 ? 

J’ai pu évoluer dans plusieurs ser­vices comme le bloc opéra­toire, la réan­i­ma­tion et l’anesthésie, au sein desquels j’ai pu forg­er mes con­nais­sances, m’enrichir au con­tact d’équipes de pointe et pluridis­ci­plinaire, pour pro­pos­er une prise en charge qual­i­ta­tive, tant sur le plan tech­nique que rela­tion­nel. Et puis un jour, des per­son­nes proches de moi ont été atteintes d’un can­cer. Cela m’a don­né envie de m’investir davan­tage dans cette voie et d’enrichir ma pra­tique. Il m’a été ensuite pro­posé de relever un nou­veau chal­lenge pro­fes­sion­nel avec la créa­tion d’un poste nova­teur d’infirmière coor­di­na­trice en can­cérolo­gie des chirur­gies ORL/ Max­il­lo-Faciale (CMF) et neu­rochirurgie au sein du CHU de Greno­ble Alpes.

En quelques mots, en quoi consiste ce nouveau métier ?

Cette créa­tion de poste répond à un besoin « Humain », au-delà du traite­ment en tant que tel. Les patients ayant un can­cer de la tête et du cou vont subir des chirur­gies qui peu­vent être délabrantes, muti­lantes, impac­tant leur vie quo­ti­di­enne et l’estime de soi. Elles néces­si­tent des soins impor­tants avec des équipes pluridis­ci­plinaires, inté­grés dans un pro­jet thérapeu­tique, où vont se suc­céder des étapes de soins sou­vent com­plex­es. La com­plex­ité des pro­to­coles thérapeu­tiques et des soins impose une coor­di­na­tion, une pro­gram­ma­tion, un suivi afin de garan­tir une prise en charge glob­ale spé­ci­fique et opti­male tant sur le plan médi­cal, psy­chologique que social. D’où la néces­sité de créer un tel poste infir­mi­er au sein du pôle de chirurgie. Ain­si, mes mis­sions con­sis­tent, entre autres, à aider et accom­pa­g­n­er active­ment et dif­férem­ment ces patients, en éval­u­ant les prob­lé­ma­tiques aux­quelles ils font face, pour que ce par­cours du « com­bat­tant » com­plexe, soit coor­don­né, sim­pli­fié et personnalisé.

 Comment définiriez-vous votre rôle ?

Dis­ons que je suis l’interlocutrice priv­ilégiée de ces patients et de leur famille pen­dant toute la durée de leur prise en charge, de l’annonce du can­cer à l’après can­cer. Je suis à leur écoute, les informe, les ori­ente et j’évalue avec eux leurs besoins et leurs ressources afin d’offrir un accom­pa­g­ne­ment opti­mal, adap­té et per­son­nal­isé en fonc­tion de leurs besoins. Je favorise égale­ment les liens et la com­mu­ni­ca­tion entre les struc­tures intra-hos­pi­tal­ières et extra hos­pi­tal­ières. Mon rôle con­siste égale­ment à être l’interface entre les dif­férents acteurs de soin (par exem­ple : spé­cial­iste, médecin trai­tant, infir­mi­er à domi­cile, prestataires, assis­tante sociale… ) qui gravi­tent autour du patient, ceci afin de flu­id­i­fi­er et d’optimiser leur prise en charge. Par ailleurs, cer­tains patients sont isolés sociale­ment, dans la pré­car­ité ou ont des prob­lé­ma­tiques d’addictions comme l’alcool et/ou le tabac, ce qui néces­site un suivi rap­proché afin qu’ils ne soient pas en errance thérapeu­tique ou en rup­ture de soin. L’objectif étant de leur offrir toutes les chances pour faire face à la maladie.

Comment les patients vous sont-ils adressés ?

Ces patients sont iden­ti­fiés au plus tôt par les chirurgiens ou les cadres de san­té comme ayant un par­cours com­plexe en can­cérolo­gie. Ils me sont sig­nalés afin d’évaluer leur sit­u­a­tion et les accom­pa­g­n­er rapi­de­ment si néces­saire. Ain­si, je peux créer avec eux une alliance thérapeu­tique, un lien de con­fi­ance favorisant une bonne adhé­sion au pro­jet thérapeu­tique et son bon déroule­ment. Une vig­i­lance est néces­saire pour que les dif­férentes étapes liées au traite­ment soient les plus flu­ides pos­si­bles (de l’hospitalisation en pas­sant par les cen­tres de réé­d­u­ca­tion, la radio­thérapie et/ou la chimio­thérapie, le retour à domi­cile et l’accès aux soins de support).

Quels sont les temps forts de leur parcours de soin ?

Le pre­mier temps fort est celui de la pré-annonce de la mal­adie. Nous organ­isons par con­séquent une journée d’hospitalisation dédiée durant laque­lle le patient va pou­voir ren­con­tr­er le chirurgien, une équipe pluridis­ci­plinaire qui le suiv­ra pen­dant son hos­pi­tal­i­sa­tion pour sa chirurgie (ex : infir­mières d’hospitalisation, d’annonce et de coor­di­na­tion, diététi­cien, den­tiste, ortho­phon­iste), un anesthé­siste et selon le besoin, notre équipe d’addictologie mobile.

C’est au cours de cette journée, lors de mon entre­tien d’accueil infir­mi­er, que je crée un lien bien­veil­lant et de con­fi­ance avec le patient et ses proches. La bonne com­préhen­sion de son par­cours de soin sera un gage de suivi de qual­ité. J’en prof­ite pour col­lecter un ensem­ble d’éléments per­ti­nents (exem­ples : éval­u­a­tion niveau d’anxiété, de douleur, éval­u­a­tion de l’autonomie, envi­ron­nement famil­ial, social, pro­fes­sion­nel, type d’hébergement, dif­fi­cultés : isole­ment, pré­car­ité, prob­lé­ma­tique bar­rière de la langue… ) et pour les cen­tralis­er sur le logi­ciel insti­tu­tion­nel dans le dossier du patient, partagé et acces­si­ble à l’ensemble des équipes pluridis­ci­plinaires du CHU.

Le sec­ond temps fort est « post chirur­gi­cal ». À ce moment-là, les patients vont soit en cen­tre de réé­d­u­ca­tion spé­cial­isé en fonc­tion de leur chirurgie, soit retour­nent à domi­cile avec une prise en charge pluridis­ci­plinaire à organ­is­er et coor­don­ner. C’est là qu’il ne faut pas les per­dre de vue et effectuer un suivi réguli­er pour les main­tenir dans cette « boucle de soin », rompre leur isole­ment et lim­iter le risque de rechute pour ceux qui sont en sevrage de leur addic­tion ou en rup­ture de soin.

Il peut aus­si y avoir l’introduction de traite­ments com­plé­men­taires à la chirurgie comme un pro­to­cole de chimio­thérapie et / ou de radio­thérapie. Mon écoute atten­tive et mon sou­tien psy­chologique durant cette péri­ode est impor­tant pour les patients qui ont déjà subi une chirurgie impor­tante, voire muti­lante et qui doivent à nou­veau faire face à de tels traite­ments qui vont impacter autant leur esthé­tique, leur corps et met­tre leur moral à l’épreuve.

D’après votre expérience, quels sont les principaux besoins des patients et des aidants au cours du parcours de soin ?

C’est surtout de ne pas se retrou­ver seul face à la mal­adie et de savoir qu’en cas de besoin, il existe une per­son­ne ressource au cœur du par­cours de soin, ce qui est très sécurisant. Les autres besoins de ces patients et des aidants sont sou­vent liés à l’écoute, à l’orientation vers des soins de sup­ports (psychologue/assistante sociale/addictologue/associations), l’information, l’accompagnement pour leurs démarch­es sociales…

Qu’est ce qui est déterminant pour un suivi de qualité ? 

La régu­lar­ité est essen­tielle pour préserv­er l’alliance thérapeu­tique, adap­tée aux besoins du patient. Nous devons pou­voir répon­dre rapi­de­ment à une prob­lé­ma­tique quelle qu’elle soit, médi­cale, psy­chologique ou sociale.  Impor­tant égale­ment, le fait de tra­vailler en col­lab­o­ra­tion avec les unités de soin, les cadres de san­té, les acteurs de soin pour assur­er la con­ti­nu­ité des soins. 

Quels conseils donneriez-vous aux patients touchés par un cancer tête et cou pour gérer au mieux l’après cancer ? 

Idéale­ment, il faut anticiper au max­i­mum la sor­tie avec le patient, ses proches et les parte­naires de soin pour pour­suiv­re une prise en charge de soin qual­i­ta­tive. Mes prin­ci­pales recom­man­da­tions sont d’éviter l’isolement, d’être soutenu par des proches ou des asso­ci­a­tions telles que Coras­so, Les Mutilés de la voix, le GEFLUC, La ligue con­tre le can­cer… — la liste n’est pas exhaus­tive !-. Mais aus­si de rester en lien avec l’infirmière de coor­di­na­tion et de ne pas hésiter à la con­tac­ter en cas de besoin. Très béné­fique égale­ment, le fait de se ren­dre dans des espaces d’écoute comme les ERI Espace Ren­con­tre et Infor­ma­tion, s’il y en a autour de chez eux. Car le patient doit se sen­tir en sécu­rité et accompagné.

Comment rompre l’isolement des patients touchés par un cancer tête et cou ?

L’isolement est vrai­ment notre « bête noire ». Dif­fi­cile à enray­er, il est sou­vent majoré par les sit­u­a­tions de vie déli­cates (divorce, perte d’emploi…), l’addiction, la pré­car­ité. Mais aus­si par la local­i­sa­tion du can­cer comme dans les can­cers de la face et du cou qui sont vis­i­bles (défor­ma­tion de la face ou zone cervicale/ muti­la­tions…), « audi­bles » (bruit tra­chéo­tomie-trou­ble phona­toire et de l’élocution) et qui peu­vent provo­quer de la honte chez le patient et une forme de rejet chez l’entourage ou les autres per­son­nes. Les familles étant sou­vent dému­nies, les acteurs de soins de sup­port (psy­cho­logue, addic­to­logue, socio-esthéti­ci­enne, asso­ci­a­tions, assis­tante sociale…) ont toute leur place pour les soutenir et aider le patient à rompre avec l’isolement, insuf­fler chez lui l’envie de pren­dre soin de lui et de main­tenir les liens famil­i­aux et soci­aux, indis­pens­ables dans ce type de par­cours de can­cérolo­gie complexe.

Rêvons un peu. Vous disposez d’une baguette magique : quelles mesures mettez-vous prioritairement en place pour améliorer le parcours des patients ? 

Si demain j’avais une baguette mag­ique, je souhait­erais la créa­tion d’une unité dédiée aux patients atteints d’un can­cer chirur­gi­cal avec un par­cours de soin com­plexe dans laque­lle les soins de sup­port seraient inté­grés : sophrolo­gie, socio-esthé­tique, Activ­ité Physique Adap­tée, psy­cho­logue, diététi­cien…, afin de leur appren­dre ou réap­pren­dre à pren­dre soin d’eux et à mieux à faire face à la mal­adie. Leur offrir un accom­pa­g­ne­ment de qual­ité, per­son­nal­isé et glob­al, prenant en compte toutes les dimen­sions du patient :  humaine, sociale, physique et psy­chologique. Vu que nous sommes peu nom­breux, il serait sûre­ment intéres­sant de créer une com­mis­sion de con­cer­ta­tion des Infirmier(es) coordinateur/trice(s) en can­cérolo­gie des chirur­gies au niveau nation­al. Ceci afin de pou­voir partager nos pra­tiques, échang­er des con­nais­sances et des out­ils indis­pens­ables à l’amélioration de nos pris­es en charge, de notre accom­pa­g­ne­ment auprès de ces patients.

Pour faciliter le parcours de ces patients, vous avez imaginé un classeur “Mon parcours de soin” : de quoi s’agit-il ?

Ce classeur de suivi des patients a pour objec­tif de recueil­lir l’ensemble des don­nées et con­tacts impor­tants con­cer­nant le par­cours de soin en les cen­tral­isant (médecins référents, per­son­nes ressources, agen­da, ordon­nances…). Ain­si, ce sup­port matériel pour­ra aider le patient dans son organ­i­sa­tion per­son­nelle et faciliter les liens entre les dif­férents acteurs de san­té grav­i­tant autour de lui. Il per­me­t­trait égale­ment de flu­id­i­fi­er sa prise en charge lors de con­sul­ta­tion ou d’hospitalisation pro­gram­mée ou en urgence, ce qui sécurise le patient et les équipes soignantes. Nous cher­chons des finance­ments pour men­er le pro­jet à bien. On espère qu’il pour­ra être mis en place dès 2024.

Accompagner les patients, plus qu’un métier, c’est une véritable MISSION pour vous ? 

J’ai la chance d’avoir un méti­er pas­sion­nant qui m’offre un épanouisse­ment tant au niveau des con­nais­sances pures qu’au niveau rela­tion­nel. Au-delà de mon rôle de soignante et des dif­férentes fonc­tions au sein d’une insti­tu­tion, il y a un véri­ta­ble engage­ment au quo­ti­di­en envers nos patients pour les aider et les accom­pa­g­n­er à tra­vers­er l’épreuve que représente le can­cer. Chaque prise en charge que j’effectue est per­son­nal­isée, adap­tée et au ser­vice du patient et de ses proches, tout au long de son par­cours com­plexe. Cette com­plex­ité, nous pou­vons égale­ment la retrou­ver dans son his­toire de vie, dans l’altération des fonc­tions motri­ces et cog­ni­tives rapi­des, pour les tumeurs cérébrales agres­sives. Ou encore dans son envi­ron­nement social et famil­ial par­fois. Le can­cer est une lutte de chaque instant. Grâce à ce nou­veau poste, nous pou­vons offrir aux patients un sou­tien act­if, un suivi opti­mal, lut­ter con­tre l’isolement, les errances thérapeu­tiques et les accom­pa­g­n­er de façon adap­tée à chaque étape de leur par­cours de soin com­plexe. Pren­dre soin d’eux passe aus­si par­fois sim­ple­ment par une écoute atten­tive, un geste, quelques encour­age­ments, et même, juste un sourire.

Pro­pos recueil­lis par Céline Dufranc

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