Et si l’on créait des macarons pour récompenser les restaurants aux petits soins pour les personnes touchées par un cancer tête et cou ? Ou un menu « adapté », comme les menus végétariens ou sans gluten ? C’est la belle idée d’Hélène Pinto, adhérente engagée et ultra gourmande de l’association Corasso.
Comment est née l’idée d’attribuer des macarons aux restaurants portant une attention particulière aux personnes ayant du mal à manger « normalement » ?
Cette idée, nous l’avons eue avec mon ami pour faire face aux difficultés que j’avais pour manger, en constatant que la plupart des restaurants ne proposaient pas de plats répondant à mes besoins. Comme beaucoup d’entre nous, j’ai une longue histoire avec la maladie. J’ai d’abord eu un carcinome adénoïde kystique (cancer des glandes salivaires). Il était bénin lorsque l’on m’a opérée en 1997 mais j’ai eu une première récidive en 2008 puis une seconde en 2016. J’ai également été touchée par un cancer du sein en 2007.
Après la trachéotomie et la première intervention, j’ai dû réapprendre à parler, à manger et à boire comme un bébé. Il faut vraiment une volonté de fer quand on essaye de manger une mini cuillère de compote et que l’on met cinq minutes à l’avaler. Les choses vitales sont soudain impossibles à réaliser. Accepter que l’on ne sera plus comme « avant » demande beaucoup de temps. Mais n’étant pas du genre à me résigner, conserver le plaisir de manger est devenu l’un de mes combats ! On peut quand même se demander pourquoi les restaurants, si nombreux en France, ne font pas de plats mixés, lisses, des menus spécifiques pour les personnes qui ne peuvent pas manger normalement et aller au restaurant ? Cela détruit une partie de notre vie sociale… Prendre cette réalité en compte, ce serait un énorme coup de pouce !
Avez-vous déjà repéré des restaurants qui jouaient le jeu ?
Je publie sur mon compte Insta @les_macarons_du_bonheur, les restaurants où j’ai pu manger car ils s’étaient adaptés à mon problème. Je publie également des plats « maison » — souvent réalisés par mon ami — qui changent de l’ordinaire et que je peux manger. Mais je m’intéresse aussi à d’autres lieux comme des chambres d’hôtes pour le petit déjeuner (car là aussi il faut s’adapter !) ou des bars lounges, où l’on peut déguster de bons cocktails dans les « bons » verres (la forme du verre est très importante pour parvenir à boire correctement !).
A contrario, signalez-vous ceux qui ne sont pas « aidants » ?
Jusqu’à présent, je n’ai publié que des endroits positifs car je veux que cela donne envie d’y aller. Je ne veux pas être négative car selon moi, si la plupart des restaurants ne s’adaptent pas, c’est par manque de connaissance. À leur décharge, les cancers ORL sont peu connus, tout comme les personnes qui ne peuvent plus manger normalement et ne vont plus du tout au restaurant. Mon souhait serait que petit à petit, les restaurants puissent proposer des plats adaptés à nos difficultés à manger. Ce serait également un bénéfice pour eux car nous pourrions aller plus souvent au restaurant, seul ou en famille, entre amis… ce qui apporterait forcément plus de clients. Et pour nous, ce serait une sorte de retour à une vie plus “normale”, un vrai bonheur que de ne plus se sentir exclus de ce monde.
Concrètement, quelles sont vos attentes ?
J’aimerais pouvoir éditer une liste de restaurants dans lesquels les personnes qui ont des difficultés à manger (personnes malades, accidentées ou âgées…) puissent aller. Pour qu’elles retrouvent le plaisir d’aller au restaurant. Le fait de se retrouver dans notre situation nous exclut déjà de la société dans laquelle nous vivons. Cela se « voit ». On ne peut cacher des défigurations, des déformations, des paralysies, des cicatrices ou niveau du visage et du cou. Cela « s’entend » car nous ne parlons plus comme avant, nous avons du mal à nous faire comprendre. Et lorsque l’on aborde le sujet de la nourriture, des restaurants, on se rend compte que c’est quelque chose d’important, d’incontournable dans notre pays. Que ce soit en famille, entre amis, tout se partage autour d’un bon repas au restaurant. Chose qui nous est impossible. Alors oui, tout cela nous exclut. Même si ce n’est pas volontaire, c’est ainsi. J’aimerais tellement changer cela !
Quel genre de plats/cartes, aimeriez-vous trouver ?
Concernant les plats, je me base sur mes difficultés. Je recherche des veloutés, des mousses légères, des purées lisses ou même des légumes confits (tellement cuits qu’ils fondent dans la bouche). Des choses qui « passent » facilement au niveau de la déglutition. C’est parfois difficile à expliquer, ou plutôt difficile à comprendre pour les restaurateurs. Il faudrait qu’ils puissent proposer un menu “adapté”, comme on trouve déjà des menus “végétarien” ou “sans gluten”.
Pourquoi n’existe-t-il pas des veloutés de choucroute, de couscous, de lasagnes etc.… tous ces plats que je ne peux plus manger ? Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de prendre le tout et de le mixer car le goût change complètement (surtout avec de la viande). J’ai déjà testé et je ne retrouve pas du tout les mêmes saveurs. D’un côté, je ne suis ni cuisinière ni cheffe mais je pense que ces plats pourraient être “créés”, revisités, version velouté, mousse ou purée lisse. De mon côté, je teste les associations qui fonctionnent bien, comme par exemple des verrines avocat-mascarpone, des veloutés de fanes de radis ou d’autres légumes. Mon ami, qui a travaillé en restauration, me fait souvent des petits plats différents, comme des légumes confits avec un œuf poché, des compotées de légumes… Il y a tellement à faire !
Comment comptez-vous sensibiliser les professionnels de la restauration ?
Les sensibiliser, c’est ce qui me semble le plus compliqué. Pour l’instant, je le fais en leur parlant quand je vais manger dans un restaurant. Mon compte Instagram permet de donner plus de visibilité et de montrer que “cela existe” ! Mais hélas, j’avance à ma petite échelle. Il faudrait pouvoir connaître des personnes du milieu de la restauration, faire connaître ces difficultés qui finalement concernent beaucoup de monde.
La cerise sur le gâteau ce serait de parvenir à faire connaître mon projet à des guides comme Michelin, Gault&Millau, à de grands restaurateurs et à des écoles hôtelières car c’est là que tout commence. Les hôpitaux, cliniques et autres lieux de santé, qui soignent des personnes ayant le même problème, pourraient également nous aider. Par exemple en en parlant à leurs patients et en améliorant leurs plateaux repas.
Sur quels critères se ferait l’attribution des macarons ?
Pour l’attribution des macarons, je suis partie sur un menu de base, c’est à dire 3 plats : entrée, plat principal, dessert. J’attribue donc 1 macaron pour chaque plat que je peux manger (bien sûr, pas 3 desserts, ce serait trop facile mais 1 entrée, 1 plat principal et 1 dessert). Ensuite, il y a 1 macaron pour l’accueil, 1 macaron pour la présentation (une belle déco, une belle assiette, forcément cela donne plus envie !) et 1 dernier macaron pour le goût (est-ce que c’était bon ou pas ?). Le but étant de pouvoir manger tout en se faisant plaisir. 6 macarons pour le Must !! (Je ne l’ai pas encore trouvé 😉)
Comment le groupe Corasso Échangeons pourrait-elle participer à ce challenge gustatif ?
Les membres du groupe Corasso Échangeons et toute autre personne, pourraient être d’une grande aide, tout simplement en allant au restaurant ! Bien sûr, cela concerne uniquement les personnes qui ont du mal à manger et qui ne peuvent plus manger normalement. Il faudrait donc aller au restaurant, expliquer son problème en demandant un plat adapté. Cela peut aussi se faire par téléphone en réservant sa table. La personne sur place prend quelques photos, du restaurant, du cadre, de la table, des plats… et elle peut me transmettre son expérience en m’écrivant sur @les_macarons_du_bonheur. Soit la personne se sent à l’aise et peut se faire “journaliste d’un jour” en écrivant son ressenti, l’expérience de ce repas ; soit elle me l’explique au mieux, en me donnant tous les détails qui me permettront de l’écrire à sa place. Bien sûr, je nommerai cette personne dans la publication. Cela permettrait d’avoir plus de restaurants à présenter et élargir aussi à toute la France, même l’Europe pourquoi pas… Le fait que je sois seule à le faire pour l’instant, forcément cela restreint les régions et aussi la quantité de restaurant. On pourrait vraiment avoir beaucoup plus de contenu. Sur chaque publication, j’identifie le restaurant, la région et le lieu. On peut donc, en cliquant dessus, voir où il se trouve sur Internet et avoir des renseignements supplémentaires sur ce restaurant.
Je pense également à créer mon site, qui serait peut-être plus accessible à tous et qui reprendrait les publications et les informations que je mets sur Instagram. J’ajouterai des informations ou des liens complémentaires sur les restaurants proposés. J’ai beaucoup d’idées mais il faut du temps et de l’aide pour les concrétiser.
Propos recueillis par Céline DUFRANC
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