Le professeur Christophe Le Tourneau, chef du département des essais cliniques précoces et de l’oncologie ORL à l’Institut Curie, répond aux questions que se posent les patients sur les essais cliniques.
Qu’est-ce qu’un essai clinique ?
Un essai clinique est l’évaluation d’une nouvelle stratégie thérapeutique chez un patient. Il peut s’agir d’évaluer un nouveau médicament, une nouvelle technique chirurgicale, une nouvelle technique de radiothérapie…
Quelles sont les différentes phases d’un essai clinique ?
Pour les essais cliniques du médicament, il y a classiquement trois phases :
Les essais cliniques de phase I (la première administration chez les patients), dont l’objectif est de trouver la bonne dose du médicament, de voir les effets secondaires et les résultats que l’on peut escompter sur l’efficacité. Cette efficacité, nous l’évaluons beaucoup plus dans les essais de phase II et III.
Les essais cliniques de phase II, avec plusieurs dizaines de patients. Nous essayons de vérifier, à la dose recommandée dans les essais de phase I, si le médicament est bien efficace.
Les essais cliniques de phase III sont les essais comparatifs. Ils vont comparer le nouveau médicament avec ce qui a été fait précédemment. Ce sont les essais qui vont permettre de conduire à une autorisation de mise sur le marché.
Combien de temps un essai clinique peut-il durer ?
La durée des essais cliniques peut varier de quelques semaines à plusieurs années, selon le médicament évalué, la maladie, le type de cancer et la situation générale des patients.
Ce n’est pas la même chose d’évaluer un médicament chez un patient porteur d’un cancer en récidive, dont on sait que la situation est plus compliquée, qu’un médicament dans une situation où le taux de guérison est important, où peu de patients récidivent.
Pour qu’un essai puisse être lancé, combien de patients faut-il réunir en vue de participer à un essai clinique ?
Le nombre de patients varie. Dans les essais de phase I, on incluait généralement 30 ou 40 patients. Maintenant, nous avons des essais de phase I beaucoup plus importants, car on mélange un petit peu les essais de phase II dans la phase I. La phase II, ce sont plusieurs dizaines de patients, jusqu’à environ 200. La phase III, ce sont souvent plusieurs centaines de patients.
Combien d’essais cliniques sont-ils en cours actuellement pour le traitement des cancers ORL ?
Il y a beaucoup d’essais cliniques en cours pour les cancers ORL. Il y en a qui ouvrent ou ferment très souvent. À l’Institut Curie, par exemple, nous avons actuellement environ 25 essais cliniques en cours pour les patients atteints de cancers ORL. En France, on doit être autour d’une centaine. À l’international, ce sont plusieurs centaines.
À quelle phase en sont ceux qui se déroulent à Curie en ce moment ?
Nous avons de tout ! Des essais de phase I avec des médicaments évalués pour la première fois chez les patients, jusqu’à des essais comparatifs de phase III, où l’on compare vraiment la nouvelle stratégie avec les anciennes avant l’autorisation de mise sur le marché.
Qu’est-ce que la recherche translationnelle ?
La recherche translationnelle est une recherche cognitive. Cela consiste à s’appuyer sur des prélèvements réalisés sur des patients (de sang, de pièce tumorale après un geste chirurgical) afin de comprendre le mécanisme d’action du médicament et pourquoi un médicament va très bien marcher ou pas du tout chez un patient. Donc c’est extrêmement important.
Pouvez-vous nous parler du projet PROGOR ?
C’est un programme de recherche translationnelle que j’ai mis en place en arrivant à l’Institut Curie, il y a dix ans. Il consiste à faire des analyses sur la base des pièces opératoires ou des prélèvements de type biopsie chez les patients atteints de cancers de la gorge, de la sphère ORL.
Depuis dix ans, nous avons fait un certain nombre d’analyses et de recherches en utilisant des technologies variées qui ont conduit à plusieurs publications dans des revues internationales. Cela nous permet de mieux connaître la biologie, et de nous donner des pistes en vue de nouveaux traitements à évaluer.
L’intérêt de cette recherche translationnelle est de nous donner des hypothèses pour créer des essais thérapeutiques de nouveaux médicaments, ce que nous faisons également dans le cadre du département.
Aujourd’hui, à quels patients ORL propose-t-on de participer à un essai clinique ?
À l’institut Curie, ce n’est pas systématique, mais je propose à une grande proportion de patients de participer à des essais cliniques. Car, finalement, intégrer un essai clinique, c’est l’occasion d’avoir accès à un médicament qui sera peut-être le médicament de demain (qui sera peut-être approuvé trois, cinq ou dix ans plus tard). Peut-être pas, également, il n’y a pas de certitude (sinon on ne ferait pas d’essais cliniques).
À quelle étape du parcours de soins cela se passe-t-il ?
Cela se passe quasiment à toutes les étapes. Nous avons des essais cliniques pour :
- des patients à qui l’on propose un traitement chirurgical premier ;
- des patients à qui l’on propose un traitement de radiothérapie avec ou sans chimiothérapie ;
- des patients en rechute de leur cancer (en première ligne ou en lignes suivantes quand les premiers traitements n’ont pas fonctionné).
Quels sont les critères d’inclusion ?
Paradoxalement, pour pouvoir participer à un essai clinique, il faut malgré tout être en bonne forme. C’est-à-dire qu’on ne peut proposer à des patients d’avoir accès à de nouveaux médicaments que s’ils ne sont pas trop fatigués ou si leur bilan sanguin est correct. Et c’est moins souvent le cas dans le cadre d’une récidive qu’au moment initial de leur maladie.
Ces restrictions permettent :
- de savoir si la fatigue ou le mauvais bilan biologique sont liés au médicament à l’étude ou à l’état général du patient ;
- de limiter les risques d’effets secondaires du médicament ;
- de ne pas biaiser les résultats de l’essai (et de risquer de rejeter un médicament qui aurait pu être efficace si on l’avait étudié chez les patients en bonne forme).
Dans quel cas peut-on se retirer d’un essai clinique ? À l’inverse, pouvez-vous interrompre un essai ?
Tout patient a le droit de sortir d’un essai clinique s’il le souhaite, à tout moment, même après avoir signé un consentement. Ce n’est pas très courant, mais cela existe. On a aussi le cas de patients réticents à participer à un essai clinique, ce qui se comprend très bien, et l’on ne les force pas (même si on les encourage). Assez souvent, les patients sont tout de même assez favorables, d’un point de vue personnel et aussi par altruisme.
Avant de démarrer, il y a une « visite de sélection ». Un bilan est réalisé avec un examen clinique, sanguin, et des examens complémentaires (ECG, échographie cardiaque, etc.). Il peut s’avérer que des critères ne soient finalement pas en accord avec le protocole et que l’on doive dire au patient que, finalement, nous n’avons pas le droit de l’inclure.
Il peut aussi arriver, rarement, lorsque le patient a commencé un traitement, qu’il en présente une toxicité importante. Dans ce cas-là, nous sommes amenés à arrêter ce traitement. Ce qui ne veut pas dire que l’on ne suit pas le patient dans le cadre de l’étude. Mais nous n’avons pas le droit de redonner le traitement.
La dernière situation, c’est si le traitement ne fonctionne pas. Dans ces conditions, nous arrêtons l’essai et proposons une autre solution.
Un patient dont la tumeur n’a pas répondu à un essai peut-il être intégré dans un autre essai clinique ?
Bien entendu. Certains patients ont participé à plusieurs essais thérapeutiques et passent d’un essai à l’autre.
Pour éviter les chirurgies mutilantes, peut-on proposer à un patient un essai clinique en première intention ?
Il y a des essais cliniques de première intention. La décision de partir sur un traitement chirurgical ou une approche non chirurgicale se discute en RCP avec les différents spécialistes. Puis, c’est la décision du patient, si jamais il y a une alternative, de choisir la chirurgie première ou non. La RCP a souvent un avis sur la question, mais c’est bien entendu le patient qui décide avant tout.
La décision est rarement prise sur le fait qu’un essai thérapeutique soit ouvert. Soit il y a une chirurgie première et des essais dans cette situation, soit c’est la radiothérapie et il y a des essais également dans ce cadre. Ce n’est pas le fait d’avoir un essai qui permet de passer d’une stratégie à l’autre.
Comment se passe l’intégration d’un patient dans un essai clinique ?
La participation à un essai thérapeutique fait partie intégrante du parcours de soins. À chaque étape du parcours du patient, les différents professionnels de santé (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes) seront peut-être amenés à discuter de la participation ou non à un essai. Cela se déroule lors d’une consultation traditionnelle. Si le patient est intéressé, on organise des examens et des rendez-vous spécifiques à l’essai clinique.
Comment vos confrères sont-ils informés des essais en cours et de ceux à venir ?
Nous nous réunissons régulièrement (de façon physique ou virtuelle) entre confrères qui prenons en charge des patients porteurs de cancers ORL. À cette occasion, nous parlons des essais cliniques en cours. Il y a aussi des informations par e‑mails.
Les essais cliniques précoces sont eux recensés sur le site de l’Institut national du cancer.
Souvent aussi, les institutions ont un répertoire des essais cliniques sur leur site internet.
Participer à un essai clinique, qu’est-ce que cela implique pour le patient ?
Il y a un suivi plus rapproché. Il y a souvent plus de visites et d’examens à réaliser que dans la routine. Cela nécessite donc un investissement un peu plus important de la part du patient. D’un autre côté, ces patients sont un peu plus surveillés, c’est rassurant pour eux.
Les essais cliniques, de Curie par exemple, peuvent-ils être réalisés par d’autres hôpitaux, notamment pour la prise en charge des patients en province ?
Les essais cliniques ne peuvent être réalisés que dans les centres où ils sont ouverts. Beaucoup d’essais cliniques sont ouverts dans plusieurs centres à la fois (et plusieurs régions de France), mais ce n’est pas le cas pour tous. Certains peuvent être ouverts uniquement dans un ou deux centres en France. Et là, malheureusement, il faut faire des kilomètres pour avoir accès à ces traitements.
Existe-t-il aujourd’hui une base de référencement avec tous les essais cliniques ? Et une base où les patients ORL qui ne répondent plus à aucun traitement peuvent s’enregistrer ?
Non, il n’existe pas de telles bases de données. La difficulté de ces bases est qu’elles sont modifiées quasiment tous les jours, puisque des essais ouvrent et ferment régulièrement.
Il y a des essais de phase I avec des cohortes spécifiques pour les patients qui ont des cancers ORL, et là aussi ces cohortes ouvrent et ferment rapidement. Donc, tenir à jour une base de données demande beaucoup de temps et de personnel.
En revanche, il existe des centres de lutte contre le cancer et des CHU dans chaque région. Dans ces services, en théorie, les équipes sont au courant des essais cliniques ouverts ou peuvent facilement faire les recherches en conséquence.
Sous quelle forme ces traitements sont-ils délivrés ?
Ils peuvent être délivrés sous plusieurs formes :
- traitements intraveineux (les plus fréquents) ;
- comprimés ;
- injections sous-cutanées (comme les vaccins thérapeutiques du cancer) ;
- en intratumoral (immunothérapie ou nanoparticules directement injectées dans la tumeur).
Les fréquences sont très variables. Pour des essais de phase I de nouveaux médicaments, il y a au départ au minimum une visite hebdomadaire. Pour les essais de phase III, il peut y avoir des visites toutes les trois ou quatre semaines au moment des traitements.
Les essais peuvent durer très longtemps, parce que tant qu’un traitement marche nous n’avons pas envie de l’arrêter. Toute la beauté des traitements comme l’immunothérapie est que dans certains cas les traitements fonctionnent très bien, et l’on peut se permettre de les arrêter. Nous avons plusieurs patients à l’Institut Curie qui étaient qualifiés d’« incurables » qui ont très bien répondu et sont maintenant chez eux et vont bien. C’est une minorité de patients, mais ce sont des choses que l’on observe avec les nouveaux traitements et que l’on n’observait pas il y a dix ans.
Ces traitements peuvent-ils être associés à un autre type de traitement (par exemple, l’immunothérapie, la chimiothérapie, etc.) ?
Les essais d’association sont très fréquents. On entend souvent par essai clinique l’essai d’un nouveau médicament qui n’existait pas avant. Mais beaucoup d’essais sont en réalité des essais d’association, c’est-à-dire qui associent des traitements déjà connus (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) avec un nouveau traitement (immunothérapie, thérapie ciblée…). Il peut aussi s’agir de l’association de deux immunothérapies ou de deux chimiothérapies et deux immunothérapies, de la radiothérapie avec l’immunothérapie, etc. Tout est possible.
Les patients qui intègrent des essais cliniques relèvent souvent un manque de coordination, de continuité entre l’hôpital (qui effectue le suivi) et le centre (qui délivre l’essai). Est-ce que vous aussi vous observez cela de votre côté ?
La règle est simple, à l’Institut Curie : à partir du moment où un patient (qui n’était pas de chez nous) participe à un essai clinique chez nous et reçoit la première injection, nous sommes responsables de tout ce qu’il se passe. S’il y a un problème intercurrent, c’est à nous qu’il doit s’adresser. Nous avons nos équipes de la douleur, de plaies et cicatrisation, de nutrition…, si nécessaire.
Maintenant, pour des raisons de commodité, si un patient vient de loin, nous pouvons être amenés à discuter avec l’équipe initiale pour lui éviter de faire 300 km pour venir à Curie. Une coordination est essentielle.
Mais généralement, dès qu’un traitement est démarré dans un centre, c’est celui-ci qui assure le suivi.
Comment voyez-vous la prise en charge des patients ORL d’ici dix ans ?
Je pense que la prise en charge va se complexifier. Elle s’est déjà complexifiée ces dix dernières années, avec l’arrivée d’une nouvelle stratégie thérapeutique (l’immunothérapie), en plus de la chirurgie, de la radiothérapie, de la chimiothérapie et des thérapies ciblées que l’on utilisait jusque-là.
À chaque fois qu’une stratégie thérapeutique arrive, ce n’est pas pour remplacer celle d’avant, mais pour s’ajouter aux outils que nous avons déjà.
La stratégie se complexifie et devient de plus en plus précise. C’est-à-dire qu’on identifie des sous-groupes de patients pour lesquels telle stratégie est plus pertinente que pour tel autre sous-groupe de patients.
C’est de plus en plus le cas, car nos connaissances en biologie des cancers sont de plus en plus fines. On est capables d’avoir une cartographie des génomes des tumeurs des patients. En fonction de ce que l’on découvre, nous pouvons être amenés à proposer des traitements spécifiques, parfois même pour n’importe quel type de cancers, si tant est qu’ils aient une altération moléculaire particulière non spécifique d’un type déterminé.
Nos patients porteurs de cancers ORL participent parfois à des essais cliniques ouverts à des patients qui ont n’importe quel type de cancers.
C’est la raison pour laquelle on fait de plus en plus un portrait moléculaire de la tumeur des patients. Cela devient la routine grâce à France Médecine Génomique, un plan national dans le cadre duquel on séquence la tumeur des patients pour y découvrir des altérations qui peuvent devenir la cible d’un traitement à proposer.
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