Douleurs neuropathiques

Provo­quées par des atteintes de fibres nerveuses, les douleurs neu­ropathiques génèrent des  sen­sa­tions très var­iées et peu prévis­i­bles d’un patient à l’autre. Com­ment en déter­min­er l’origine ? Quelles sont les solu­tions pour les soulager ? Toutes les répons­es apportées par Dr Chris­telle Créac’h, neu­ro­logue et cheffe de ser­vice du Cen­tre d’Évaluation et Traite­ment de la Douleur du CHU de Saint-Étienne.

douleur neuropathique

Qu’est-ce qu’une douleur neuropathique ?

« C’est une douleur liée à une lésion ou à une dys­fonc­tion au niveau du sys­tème nerveux périphérique ou cen­tral », définit la spécialiste.

  • Le sys­tème nerveux périphérique com­prend l’ensemble des nerfs qui trans­met­tent l’information nerveuse depuis les récep­teurs sen­soriels (au niveau de la peau par exem­ple) jusqu’aux racines nerveuses rat­tachées à la moelle épinière. Glob­ale­ment, plus les nerfs s’éloignent de la moelle épinière et plus ils se ram­i­fient et s’affinent.
  • Le sys­tème nerveux cen­tral com­prend les neu­rones de la moelle épinière et les voies ascen­dantes con­nec­tées à dif­férentes zones du cerveau.

Le long de ces tra­jets nerveux, toute blessure ou dérè­gle­ment est sus­cep­ti­ble de causer une douleur neu­ropathique ou neu­rogène. Les caus­es sont mul­ti­ples : « En ORL, les chirur­gies peu­vent facile­ment lés­er des petits nerfs à prox­im­ité de la tumeur réséquée ou sur la voie d’accès à cette tumeur, au niveau de l’incision », développe Chris­telle Créac’h. « Les fibres nerveuses peu­vent aus­si être frag­ilisées par les rayons au cours d’une radio­thérapie ou même par cer­taines chimio­thérapies. » Toute tumeur qui a ten­dance à étir­er, envahir ou com­primer un nerf présente aus­si un risque de provo­quer une douleur neuropathique. 

Comment se manifestent ces douleurs ?

Les sen­sa­tions sont très var­iées, inclu­ant des brûlures ou des sen­sa­tions de froid, des décharges élec­triques, des coups de couteaux, un engour­disse­ment, une sen­sa­tion d’étau ou de broiement, des picote­ments, des fourmillements… 

À ces ressen­tis douloureux s’ajoutent des sen­sa­tions très par­ti­c­ulières au toucher : 

  • soit la peau paraît comme endormie, on par­le alors d’« hypoesthésie » ;
  • soit elle est au con­traire beau­coup trop sen­si­ble, c’est une « allo­dynie ». Le moin­dre effleure­ment, cen­sé être totale­ment indo­lore, devient douloureux. L’allodynie cor­re­spond à une hyper­ex­citabil­ité d’un récep­teur ou d’une fibre nerveuse : le sig­nal envoyé au cerveau est totale­ment exac­er­bé par rap­port à ce qu’il devrait être.

Pourquoi autant de différences d’une personne à l’autre ?

Deux patients présen­tant peu ou prou le même type de tumeur, au même endroit, soumis aux mêmes traite­ments, déclencheront des douleurs neu­ropathiques de nature et d’intensité dif­férentes. « C’est un fait que l’on a un peu de mal à expli­quer pour le moment », recon­naît la neu­ro­logue. « Les mécan­ismes en jeu sont com­plex­es et multifactoriels. »

Autre expli­ca­tion pos­si­ble, nous ne seri­ons pas tous égaux face au risque de douleur neu­rogène. Chris­telle Créac’h explique : « Plusieurs fac­teurs tels que la prise de cer­tains médica­ments, la con­som­ma­tion d’alcool, un dia­bète… frag­ilisent les nerfs et aug­mentent ce risque. Par ailleurs, nous n’avons pas tous le même bagage géné­tique. » La spé­cial­iste illus­tre son pro­pos en évo­quant l’exemple des « canaux ion­iques ». La trans­mis­sion du mes­sage nerveux se fait via des canaux ion­iques qui per­me­t­tent la nais­sance d’un influx se propageant sur l’ensemble des voies sen­si­tives. « Il est fort prob­a­ble que nous n’ayons pas tous les mêmes canaux ion­iques, que cer­tains soient plus frag­iles que d’autres et donc plus sujets à déclencher des douleurs neuropathiques. »

Sur quoi repose le diagnostic ?

« Il est essen­tielle­ment clin­ique », explique la cheffe de ser­vice du cen­tre anti-douleur de Saint-Éti­enne. « Nous nous basons sur trois critères : les qual­i­fi­ca­tions de la douleur évo­quées par le patient — soit son type de ressen­ti — la zone con­cernée et la sen­si­bil­ité — au touch­er, en piquant, au chaud, au froid -. »

En cas de doute, les médecins peu­vent avoir recours à des exa­m­ens élec­tro­phys­i­ologiques ou des tech­niques d’imagerie pour pré­cis­er l’origine de la douleur. Cepen­dant, pour­suit le Dr Créac’h,  « con­nais­sant à la fois les rap­ports entre la tumeur et les nerfs à prox­im­ité et la car­togra­phie des ter­ri­toires nerveux, un spé­cial­iste peut générale­ment déter­min­er quelle fibre nerveuse est touchée sans avoir besoin d’examen complémentaire ». 

Quels sont les traitements contre les douleurs neuropathiques?

Dans le cas d’une douleur provo­quée par une tumeur com­pres­sant une fibre nerveuse, le traite­ment est curatif : le retrait de la tumeur suf­fit générale­ment à sup­primer les sen­sa­tions douloureuses. C’est le seul cas où une douleur neu­ropathique peut être totale­ment « guérie ».

Si toute­fois le nerf est défini­tive­ment lésé, il peut rester des séquelles douloureuses qui néces­siteront une prise en charge. « Comme ces douleurs sont sou­vent dif­fi­ciles à traiter, il fau­dra par­fois essay­er plusieurs traite­ments suc­ces­sive­ment voire des com­bi­naisons entre dif­férents traite­ments », con­seille Chris­telle Créac’h. 

1. Les traite­ments locaux médicamenteux

Par­mi les traite­ments médica­menteux appliqués directe­ment sur la zone douloureuse, le Dr Créac’h liste :

  • l’emplâtre de lido­caïne (Ver­sa­tis®) : « Com­prenant un anesthésique local, il se présente sous la forme d’un patch à coller sur la peau et à porter 12 heures par jour. Pré­con­isé pour le traite­ment des névral­gies sec­ondaires au zona, il est sou­vent util­isé pour traiter les douleurs neu­ropathiques avec hyper­sen­si­bil­ités. » 
  • le patch de cap­saïcine 8% (Quten­za®) : appliqué pen­dant 30 à 60 min­utes sur la peau, par­fois tous les trois mois, ce patch peut désen­si­bilis­er les zones allo­dyniques, hyper­sen­si­bles au touch­er. Petit bémol toute­fois : « Cet extrait de piment rouge étant assez irri­tant, on peut le pos­er en cer­vi­cal mais en évi­tant de le plac­er sur le vis­age. » Ces appli­ca­tions sont réal­isées unique­ment en hôpi­tal de jour, par des pro­fes­sion­nels de san­té expérimentés.
  • La tox­ine bot­ulique de type A, plus con­nue sous son nom com­mer­cial de Botox® . Elle a démon­tré une effi­cac­ité pour soulager des douleurs neu­ropathiques résis­tantes aux traite­ments de pre­mière ligne. L’effet antalgique est assez per­sis­tant, puisque des injec­tions tous les 3 mois suff­isent. Elles sont réal­isées sur la peau, directe­ment dans les ter­ri­toires douloureux, à l’hôpital ou en cen­tre spé­cial­isé. Ces injec­tions de Botox ne sont pas rem­boursées par l’Assurance mal­adie dans cette indication.

Ces traite­ments ne peu­vent être pre­scrits que par un pro­fes­sion­nel de san­té qui aura pris le temps au préal­able de pra­ti­quer un exa­m­en clin­ique pour déter­min­er lequel est le plus adap­té à l’é­tat de san­té du patient ou de la patiente.

2. Les traite­ments généraux médicamenteux

« Deux class­es médica­menteuses, à pren­dre par voie orale, ont démon­tré leur effi­cac­ité pour atténuer les douleurs neu­ropathiques », décrit Dr Créac’h. Elle cite :

  • dans la famille des anti-épilep­tiques : la gabapen­tine (Neu­ron­tin®) et la pré­ga­ba­line (Lyri­ca®), qui «  dimin­u­ent l’excitabilité nerveuse » ;
  • dans la famille des anti-dépresseurs : la duloxé­tine (Cym­bal­ta®) ou des anti-dépresseurs tri­cy­cliques comme la clomipramine (Anafranil®). Ces derniers peu­vent génér­er une sécher­esse buc­cale, par­ti­c­ulière­ment gênante dans le cas de prob­lèmes ORL.

« Au sein des cen­tres anti-douleur, nous avons aus­si la pos­si­bil­ité d’administrer des traite­ments par per­fu­sion, avec des pro­duits qui blo­quent l’emballement de la douleur, à base par exem­ple de két­a­mine ou de xylo­caïne », pour­suit l’experte en neurologie.

3. La neuromodulation

Cette approche est non médica­menteuse, indo­lore et sans effet sec­ondaire. La neu­ro­mod­u­la­tion con­siste à mod­i­fi­er l’activité nerveuse au moyen d’un stim­u­lus ciblé. Deux méth­odes présen­tent une util­ité dans le cadre de douleurs neuropathiques.

  • La neu­rostim­u­la­tion tran­scu­tanée (TENS). Des élec­trodes sont posi­tion­nées à prox­im­ité de l’endroit douloureux ou de la racine nerveuse con­cernée. Un léger influx élec­trique per­met de stim­uler les con­trôles de la douleur et ain­si d’en atténuer le ressen­ti. Seuls des pro­fes­sion­nels for­més ou des cen­tres anti-douleur sont autorisés à pre­scrire des TENS. Peu pra­tiqué pour les douleurs de la face,  le dis­posi­tif peut être employé facile­ment sur cer­taines zones du cou, à con­di­tion de plac­er les élec­trodes à dis­tance de l’artère carotide. Comme le patient est amené à utilis­er l’appareil à domi­cile, une édu­ca­tion thérapeu­tique s’impose.
  • La stim­u­la­tion mag­né­tique trans-crâni­enne (rTMS). Elle se pra­tique surtout dans les cen­tres anti-douleur ou les ser­vices de neu­rolo­gie. Au moyen d’une sonde externe, le prati­cien applique des ondes élec­tro­mag­né­tiques à tra­vers la boîte crâni­enne. L’objectif est de stim­uler des zones cérébrales de con­trôle de la douleur. En effet, les douleurs neu­rogènes sont par­fois le résul­tat d’une mau­vaise « lec­ture » par le cerveau : il analyse une sen­sa­tion douloureuse là où elle ne devrait pas exis­ter. Les séances sont répétées au cours du temps et durent env­i­ron 30 min­utes. Le Dr Créac’h sig­nale d’ailleurs : « Les patients présen­tant des douleurs neu­ropathiques séquel­laires sévères répon­dant bien à la rTMS, se voient pro­pos­er une neu­ro­mod­u­la­tion défini­tive par une élec­trode implan­tée directe­ment par un neu­rochirurgien sous la boite crânienne. »

   4. Des approches novatrices

De plus en plus de patients souf­frant de douleurs local­isées liées à un can­cer actuel ou de douleurs neu­ropathiques post can­cer, béné­fi­cient d’un dis­posi­tif thérapeu­tique appelé « Intrathé­cale ». Une pompe con­tenant un réser­voir est placée sous la peau au niveau de l’abdomen. Ce dernier est relié à un cathéter très fin, qui remonte dans le liq­uide cépha­lo-rachi­di­en situé autour de la moelle épinière. « Par cette voie, les médecins injectent dif­férents types de molécules au plus près des zones de con­trôle de la douleur. L’avantage est qu’il faut en admin­istr­er beau­coup moins pour être effi­cace, ce qui lim­ite les effets indésir­ables. Cela per­met d’utiliser des molécules non util­is­ables autrement, comme le ziconotide ou Pri­alt®. Par rap­port à des pom­pes à mor­phine, ici pas besoin de per­fu­sion, le patient est autonome dans l’administration du médica­ment », décrypte Chris­telle Créac’h. Ini­tiale­ment réservée à des can­cers plus bas situés, dif­férentes équipes ont appris à mon­ter le cathéter suff­isam­ment haut, au niveau cer­vi­cal, de façon à pou­voir pro­pos­er les pom­pes intrathé­cales égale­ment aux patients souf­frant d’un can­cer ORL 

L’apport des approches complémentaires

Elles ne présen­tent pas le même niveau de preuve quant à leur effi­cac­ité pour soulager des douleurs neu­ropathiques. Il peut toute­fois être intéres­sant de les tester si les dif­férentes approches déjà mis­es en place restent insuffisantes.

1. L’acupuncture

Tech­nique ances­trale issue de la médecine tra­di­tion­nelle chi­noise, l’acupuncture con­siste à plac­er des aigu­illes très fines sur des points pré­cis du corps. L’effet antalgique est com­biné à une amélio­ra­tion de la cir­cu­la­tion san­guine, qui peut con­tribuer à la cica­tri­sa­tion des lésions nerveuses. Pra­tiquée par un médecin acupunc­teur con­ven­tion­né, l’acupuncture donne droit à un rem­bourse­ment par l’Assurance mal­adie. À con­di­tion de respecter le par­cours de soi, c’est-à-dire d’être adressé par son médecin traitant.

2. L’auriculothérapie

Ici, des points au niveau de l’oreille sont stim­ulés au moyen de petites aigu­illes. Ces stim­u­la­tions spé­ci­fiques activent des ter­mi­naisons nerveuses reliées à dif­férentes par­ties du corps, et notam­ment des zones de con­trôle de la douleur.

» Voir notre arti­cle détail­lé sur les bien­faits de l’auriculothérapie

3. La photobiomodulation

L’utilisation de lumière infra-rouge sur la peau fait l’objet de plus en plus de recherch­es, notam­ment pour démon­tr­er son effet anti-inflam­ma­toire, antalgique et cica­trisant. Des travaux menés pour l’instant chez la souris* ont per­mis de con­stater que l’application de cette lumière avait pour effet de « brûler » des ter­mi­naisons nerveuses défail­lantes au niveau de la peau. La con­clu­sion : les douleurs neu­ropathiques déclenchées au touch­er dis­parais­saient instantanément.

» Voir notre arti­cle détail­lé sur les bien­faits de la photobiomodulation

4. Les tech­niques de ges­tion du stress

Ici, plus ques­tion de s’attaquer directe­ment aux douleurs en elles-mêmes, mais à un fac­teur sus­cep­ti­ble d’en exac­er­ber le ressen­ti : le stress. Il est recon­nu comme pou­vant à la fois ampli­fi­er et entretenir la douleur. Auto-hyp­nose, relax­ation, médi­ta­tion de pleine con­science sont autant d’activités qui peu­vent à la fois réduire le stress et con­tribuer au mieux-être général.

» Voir nos arti­cles détail­lés sur les bien­faits de la cohérence car­diaque, la sophrolo­gie et l’hyp­nose.

« Les patients rap­por­tent fréquem­ment des soulage­ments sig­ni­fi­cat­ifs suite à l’utilisation d’approches de soins com­plé­men­taires. Les pro­fes­sion­nels de san­té ont donc intérêt à rester ouverts vis-à-vis de ces approches en pro­posant aux patients de les associ­er  aux traite­ments plus clas­siques », recom­mande Dr Chris­telle Créac’h. Elle con­clut par un dernier con­seil : « Si vous con­statez le moin­dre change­ment soit en ter­mes de type de sen­sa­tions, de zones douloureuses ou tout autre signe clin­ique qui vous intrigue, con­sul­tez à nou­veau votre médecin. Il vous ré-exam­in­era et pour­ra refaire un bilan afin d’en trou­ver l’origine et vous pro­pos­er d’autres solutions. »

* Dhan­da­pani, R., Arokiaraj, C.M., Tabern­er, F.J. et al. Con­trol of mechan­i­cal pain hyper­sen­si­tiv­i­ty in mice through lig­and-tar­get­ed pho­toab­la­tion of TrkB-pos­i­tive sen­so­ry neu­ronsNat Com­mun 9, 1640 (2018). https://doi.org/10.1038/s41467-018–04049‑3

Pro­pos recueil­lis par Vio­laine Badie

Cette page a-t-elle répondu à vos attentes ?
OuiNon

Continuons l'échange avec les réseaux sociaux Corasso :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Les information de prénom, nom, email et téléphone sont facultatives. Elles nous permettront éventuellement de vous recontacter pour vous répondre ou échanger.