La paralysie faciale est un effet secondaire relativement fréquent chez les patients souffrant de cancers ORL. Une rééducation spécifique aide à limiter les conséquences esthétiques et fonctionnelles de cette atteinte du nerf facial. Toutes les explications avec Célia Lopez, Alice Guyon et Caroline Thieffry, orthophonistes à l’Institut Gustave Roussy.
Difficultés à mobiliser une partie du visage, à fermer un œil, à sourire… Une paralysie faciale se manifeste de plusieurs manières, selon le degré d’atteinte du nerf en cause. Pour y remédier, plusieurs solutions peuvent être proposées, allant de la chirurgie à une rééducation ciblée.
Qu’est-ce qu’une paralysie faciale ?
« Il s’agit d’une atteinte de la mobilité des muscles de la face et/ou du cou qui peut être partielle ou complète. Dans le cas des patients touchés par un cancer des voies aérodigestives supérieures, elle est liée à une inflammation ou bien à une lésion directe du nerf facial ou nerf crânien VII », détaille Caroline Thieffry. « On parle alors de paralysie faciale périphérique, par opposition à la paralysie faciale centrale liée à une lésion cérébrale, comme un AVC par exemple. » Pour les patients traités pour un cancer ORL, l’atteinte est quasiment toujours unilatérale, c’est-à-dire qu’elle touche une seule moitié du visage.
Quelles peuvent en être les causes dans le cas de cancers rares ORL ?
« Une paralysie faciale périphérique peut être causée, en amont de tout traitement, par une tumeur maligne qui comprime ou a infiltré le nerf facial », répond Caroline Thieffry. Dans la très grande majorité des cas, elle s’observe chez les patients atteints d’un cancer des glandes salivaires, plus particulièrement de la glande parotide. Les parotides (situées de manière symétrique de part et d’autre du visage, au niveau des joues, en avant et légèrement en dessous des oreilles), se divisent en deux lobes, entre lesquels passe le nerf facial.
« Une lésion nerveuse peut aussi survenir au moment d’une chirurgie destinée à retirer une tumeur à proximité de ce nerf. Soit le chirurgien a été obligé de sectionner le nerf car il était envahi et pris dans la tumeur, soit le nerf est préservé mais sa dissection extensive engendre aussi des lésions », complète Alice Guyon. Qu’entend-on par « dissection extensive » ? « Elle consiste à libérer le nerf de la tumeur, quand il n’est pas envahi, en passant au ras de ce dernier. Il va alors se comporter un peu comme un escargot qui se recroqueville dans sa coquille. Si on passe à son contact, il se rétracte et met plus ou moins de temps avant de récupérer. »
Enfin, des effets secondaires de la radiothérapie peuvent aussi venir endommager le nerf facial, surtout s’il a déjà été fragilisé par la tumeur et/ou par une chirurgie.
« Dans le cas des patients touchés par un cancer des voies aérodigestives supérieures, elle est liée à une inflammation ou bien à une lésion du nerf facial ou nerf crânien VII. »
Comment se manifeste une paralysie faciale ?
Plusieurs symptômes peuvent être la conséquence d’une paralysie faciale. Selon leur degré de gravité, on classe les paralysies faciales en six grades. Parmi les manifestations possibles, les orthophonistes du Département Anesthésie Chirurgie et Interventionnel de l’Institut Gustave Roussy (IGR) listent :
- Un déficit moteur des muscles de l’expression du visage, responsables des mimiques. Ce déficit peut être partiel, avec une asymétrie seulement en mouvement (dans les grades peu importants), ou bien complet avec une asymétrie y compris au repos, voire une hémiface complètement immobile (dans les grades les plus importants).
- Des difficultés ou une impossibilité à fermer l’œil, du côté paralysé, parfois même en forçant.
- Des difficultés ou une impossibilité à sourire, mais aussi à froncer et à lever les sourcils, du côté paralysé.
Pour expliquer les différents grades de paralysie faciale, les expertes de l’IGR évoquent la « classification de House et Brackmann » :
- Grade 1 = mobilité faciale et tonus normaux, c’est-à-dire pas de paralysie faciale.
- Grade 2 = dysfonction légère. Au repos : visage symétrique / En mouvement : légère asymétrie mais fermeture de l’œil correcte et sans effort.
- Grade 3 = dysfonction modérée. Au repos : visage symétrique / En mouvement : asymétrie avec diminution globale de la mobilité mais fermeture de l’œil possible avec effort.
- Grade 4 = dysfonction modérée à sévère. Au repos : visage globalement symétrique / En mouvement : asymétrie importante, spasmes, fermeture de l’œil incomplète même avec effort.
- Grade 5 = dysfonction sévère. Au repos : asymétrie évidente / En mouvement : mobilité à peine perceptible au niveau de l’œil et de la bouche, pas de spasme, pas de fermeture de l’œil.
- Grade 6 = paralysie faciale complète avec mouvements impossibles.
« Selon leur degré de gravité, on classe les paralysies faciales en six grades. »
Quelles sont les solutions pour améliorer ces symptômes ?
« D’abord, il faudra bien éduquer le patient sur la surveillance et le soin de son œil si celui-ci ne ferme plus. En effet, la cornée sera à protéger tant que l’œil ne fermera pas. On viendra appliquer des larmes artificielles, de la vitamine A, et mettre en place une fermeture nocturne avec un stéri-strip qu’on va venir poser horizontalement. On surveillera que l’œil ne devienne ni douloureux ni rouge, pour éviter de développer une kératite, c’est-à-dire une érosion de la cornée », développe Alice Guyon.
Une rééducation orthophonique peut être démarrée dès 2 à 3 semaines après la chirurgie, dans le cadre d’une parotidectomie (ablation de la glande parotide). Selon un principe essentiel : « Former le patient à ne surtout pas forcer, donc pas de grimace, pas de mouvement en force, pas de chewing-gum. Pas non plus d’application de froid sur le visage », indique Célia Lopez. « L’objectif est d’éviter l’installation de spasmes, de mouvements involontaires appelés syncinésies, des séquelles qui peuvent être irréversibles. »
Des massages endo et extra buccaux sont généralement proposés rapidement après la chirurgie, de manière symétrique de part et d’autre du visage (donc y compris du côté non atteint), toujours dans le sens des fibres musculaires. Leur intérêt est double : « Favoriser la repousse des terminaisons nerveuses du côté atteint et éviter que le côté sain ne vienne surcompenser et donc ne développe des contractures douloureuses ou des séquelles fonctionnelles comme des mouvements involontaires appelés syncinésies », poursuit Célia Lopez. Ces massages, réalisés par l’orthophoniste lors des séances de suivi, sont à reproduire quotidiennement par le patient. Pour en assurer l’efficacité, ils nécessitent des gestes assez vigoureux, donc malheureusement assez douloureux.
D’autres exercices sont proposés lors des séances de rééducation, comme du « Neuromuscular Retraining » destiné à re-symétriser le visage en douceur. Alice Guyon cite un exemple : « On travaille trois zones, qui sont le sourcil, l’œil et la bouche. On demande au patient, avec son doigt, de symétriser le mouvement de haussement du sourcil, de fermeture de l’œil ou du sourire du côté atteint. En relâchant le doigt, il doit tenter de maintenir la position. Au fur et à mesure des exercices, il arrivera de mieux en mieux à la maintenir. »
« Une rééducation orthophonique peut être démarrée dès 2 à 3 semaines après la chirurgie. »
Certains patients peuvent se voir proposer des injections de toxine botulique ou Botox®, dans les muscles du visage non-paralysés, pour équilibrer les expressions faciales et donner un petit coup de pouce à la rééducation. Ces injections seront à répéter environ tous les 6 mois et sont prises en charge par l’Assurance maladie.
Côté chirurgie, des reconstructions du nerf facial peuvent être envisagées, souvent en même temps que l’intervention destinée à retirer la tumeur cancéreuse. « Plusieurs types de reconstruction sont possibles. À Gustave Roussy par exemple, les chirurgiens reconstructeurs utilisent des lambeaux libres avec nerf vascularisé », explique Alice Guyon. « On peut par la suite proposer certaines chirurgies reconstructrices à plus long terme en cas d’échec ou de résultats insuffisants de la rééducation, comme une myoplastie d’allongement du muscle temporal pour améliorer le sourire. Tout est à discuter en fonction du cas avec un chirurgien spécialiste. »
« Des reconstructions du nerf facial peuvent être envisagées, souvent en même temps que l’intervention destinée à retirer la tumeur cancéreuse. »
Peut-on espérer une récupération totale ?
Dans certains cas oui, cela dépend de nombreux facteurs : origine de la paralysie faciale, section totale du nerf ou dissection à proximité, reconstruction ou non, délai de mise en place de la rééducation… Parmi les symptômes qui peuvent subsister, les expertes mentionnent :
- Une paralysie faciale résiduelle avec potentiellement des mouvements involontaires et des contractures.
- Une articulation moins claire, moins fluide.
- Une incapacité à fermer complètement les paupières qui peut entraîner une sécheresse oculaire, une irritation, une vision floue ou double, des difficultés à contrôler les mouvements des muscles oculaires, mais aussi des pathologies oculaires plus graves comme une atteinte de la cornée.
- Des difficultés pour rassembler le bol alimentaire dans le cas de paralysies faciales périphériques sévères. La nourriture mastiquée reste disséminée dans le sillon entre la joue et la gencive. Ces stases endo-buccales peuvent causer des fausses routes secondaires, des morsures internes et des écoulement de salive très invalidants.
« Le but de la prise en charge orthophonique est que les symptômes restent temporaires et disparaissent entièrement au bout de quelques semaines à quelques mois »
Vers qui se tourner pour remédier à une paralysie faciale ?
Le suivi doit être assuré par un orthophoniste ou un kinésithérapeute. Veillez à vous adresser à un spécialiste formé et habitué à prendre en charge les paralysies faciales périphériques.
La rééducation nécessite un suivi hebdomadaire au départ, puisque le but est de former le patient aux bons gestes, aux bons massages. Au bout de quelques mois, les rendez-vous s’espacent et cessent après disparition des symptômes ou quand les améliorations sont jugées suffisantes.
Propos recueillis par Violaine Badie